Figée dans le temps : l’exploration de l’Arctique canadien
Contrée nordique par excellence, le Canada est caractérisé par
une vaste région polaire dont le paysage frappe depuis toujours
l'imaginaire. L'Arctique est un endroit unique, marqué par un
terrain et des phénomènes qui ne se retrouvent que sous ce climat.
Au nord du cercle polaire arctique, les arbres ne poussent pas et
l'environnement, pareil à nul autre, subit les températures
glaciales qui sévissent pendant une bonne partie de l'année. Quand
tombe la nuit polaire, l'Arctique est plongé dans l'obscurité
pendant 24 heures; quand brille le soleil de minuit, c'est le jour
qui règne pendant toute la journée.
La volonté inébranlable d'explorer l'Arctique est née d'un désir
d'expansion, de découverte et de recherche. Des expéditions ont été
lancées parce que l'on souhaitait désespérément établir de
nouvelles routes commerciales et revendiquer la souveraineté de
terres tout justes découvertes. Une fois la plupart des
terres revendiquées, la recherche scientifique et l'étude de la
culture et des pratiques des peuples inuits locaux sont
devenus le centre d'intérêt. L'histoire de l'exploration de
l'Arctique canadien au XIXe siècle est aussi riche que
tumultueuse, ponctuée à la fois de réussites grandioses et d'échecs
lamentables. Les réussites ont pris la forme de découvertes
importantes, comme la cartographie de nouvelles îles et de nouveaux
passages, mais les échecs ont coûté à des équipages entiers non
seulement leur rêves, mais aussi souvent leur vie. Divers lieux
patrimoniaux nous rappellent encore aujourd'hui l'exploration du
Nord du Canada à la fin du XIXe et au début du
XXe siècle. Un siècle plus tard, ces expéditions
historiques, ces explorateurs intrépides et ce qui reste des lieux
explorés à l'époque sont autant de symboles qui remémorent aux
Canadiens les splendeurs et les misères de l'interaction
entre les hommes et le Grand Nord canadien.
Fort Conger (gauche), sur la côte
nord-est de l'île d'Ellesmere, au Nunavut, témoigne bien de la
riche histoire de l'exploration de l'Arctique. On y trouve trois
huttes, érigées en 1900 par Robert E. Peary pour l'aider à
atteindre le pôle Nord. L'histoire de Fort Conger est toutefois
encore plus ancienne, puisque que c'est en 1881 que ce lieu a été
utilisé pour la première fois dans le cadre de l'exploration du
Nord. En effet, le capitaine britannique George S. Nares y fait
escale cette année-là suivi, sept ans plus tard, par le lieutenant
américain Adolphus Greely. Les deux expéditions connaissent des
fins tragiques, attribuables à une mauvaise protection contre les
éléments et à l'insuffisance des vivres. Le périple de Peary
connaît presque le même sort, car le navire dans lequel il a prévu
vivre, le Windward, n'atteint jamais Fort Conger. Peary
fait cependant preuve d'astuce et dessine des plans afin de
construire son propre abri, en mettant à profit à la fois sa
connaissance des techniques de construction dans l'Arctique, divers
matériaux occidentaux et le matériel laissé derrière par
l'expédition de Greely. La mission entreprise par Peary en
1901-1902 n'est pas couronnée de succès, mais il revient à la
charge en 1909, en établissant de nouveau sa base à Fort Conger.
Cette fois, il arrive à gagner le pôle Nord. Les structures érigées
par Peary, qui datent maintenant de plus d'un siècle, sont un
témoignage de sa grande réussite.
Le
lieu historique national du Canada des Sites-de-l'Île-Beechey
(droite) raconte l'histoire d'une expédition arctique qui a mal
tourné et des multiples tentatives de recherches qui ont suivi.
C'est dans le cadre de l'expédition menée par sir John Franklin, en 1845-1846 que l'île
Beechy est utilisée comme lieu d'hivernage pour la première fois.
Lui et ses hommes cherchent à trouver un passage du Nord-Ouest et à
explorer la région polaire. Ils se donnent comme objectif de
démystifier l'Arctique en y effectuant diverses études zoologiques,
botaniques, magnétiques et géologiques et en cartographiant une
route fiable entre l'Europe et l'Orient. Leur voyage tourne court
quand leur navire devient le prisonnier des glaces près de l'île
King William. L'expédition de Franklin connaîtra une fin
tragique : toutes les personnes à bord du NMS Erebus et du NMS
Terror périront, et il ne restera presque aucune trace de
l'expédition. En Angleterre, comme on reste sans nouvelles de la
mission, l'inquiétude monte. De nombreuses expéditions de recherche
sont organisées. Si ces dernières ne retrouvent que bien peu de
traces de Franklin et de ses hommes, elles permettent toutefois de
cartographier une grande partie de l'Arctique canadien et de
découvrir trois passages du Nord-Ouest.
L'année 2013 marquait le 100e anniversaire de l'Expédition canadienne dans l'Arctique
(1913-1918), qui a été désignée événement d'importance
historique nationale. Cette mission a été d'une importance
significative dans l'histoire de notre pays, car il s'agit du
premier voyage dans l'Arctique de l'Ouest à être financé par le
gouvernement fédéral, et de l'une des plus imposantes expéditions
scientifiques jamais lancée dans l'Arctique. Même si la mission met
navires et équipages à rude épreuve, elle n'est jamais abandonnée.
On y verra par la suite une grande réussite. Vilhjálmur Stefánsson prend la tête de cette
expédition dans l'espoir d'acquérir de nouvelles terres pour le
Canada dans l'Arctique et d'entreprendre de nouvelles recherches
scientifiques. Les espoirs de découvertes s'évanouissent rapidement
au cours de la première année et l'unique préoccupation devient
bientôt la survie. C'est la famine et la mort qui attendent les
plus malchanceux : 12 membres d'équipages succombent au cours
de la première année.
Il devient vite évident que la survie de l'équipage dépendra de
la sagesse des Inuits. On a recours à des attelages de chiens de
traîneau pour chasser et se déplacer dans les terres glacées, et
des Inuits expérimentés se joignent à l'équipage à titre de
compagnons ou de chasseurs, faisant ainsi profiter l'expédition de
leurs grandes habiletés. Toutes ces embûches n'arrivent pas à
refroidir l'ardeur de l'Expédition canadienne dans l'Arctique, dont
la volonté ne fait que grandir. C'est cette détermination
inébranlable qui la conduira vers la réussite. Les scientifiques
reviennent avec des milliers de spécimens d'animaux, de fossiles et
de minéraux ainsi qu'avec des artefacts inuits qui ont mené à
d'autres recherches. Autre réussite de la mission, c'est à
Stefánsson en personne que revient la découverte des grandes îles
arctiques qui n'avaient pas encore été cartographiées.
Les récits de
l'exploration de la région polaire continuent de fasciner le monde
encore aujourd'hui et nous motivent à entreprendre de nouvelles
expéditions. Jusqu'à récemment, le lieu
historique national du Canada du Erebus et Terror (gauche)
commémorait les deux navires perdus lors de l'expédition de
Franklin visant à traverser l'Arctique en 1845. Toutefois, en
septembre 2014, l'équipe de Parcs Canada a localisé l'épave du NMS
Erebus, une grande découverte contemporaine dans l'Arctique.
Les archéologues subaquatiques explorent cette trouvaille
fantastique et continuent les recherches pour localiser le NSM
Terror.
Les désignations comme celle de Fort Conger, de l'île Beechy, de
l'expédition canadienne dans l'Arctique (1913-1918), de Vilhjálmur
Stefánsson et du Erebus et Terror aident à raconter l'histoire
captivante de l'exploration de l'Arctique au Canada. Même si ce ne
fut pas une entreprise de tout repos, les tragédies se sont souvent
terminées par des triomphes, et les désastres ont souvent cédé le
pas à la réussite. L'infortune des uns a conduit à la découverte de
trois passages du Nord‑Ouest, et les épreuves des autres ont permis
de réaliser de grandes percées scientifiques.
Ces triomphes auraient été impossibles sans l'aide des Inuits,
qui ont appris aux explorateurs comment survivre dans les rudes
conditions climatiques de l'Arctique et qui se sont même joints aux
équipes des expéditions, comme compagnons ou chasseurs. Le
partenariat qui s'est noué entre les Inuits et les explorateurs
européens a grandement facilité les nombreux succès remportés dans
le cadre de l'exploration du Nord.
Grand pays nordique, le Canada tire une fierté du paysage du
Nord, de son patrimoine et de tous les trésors qu'il renferme, et
l'exploration de l'Arctique est particulièrement chère à son cœur.
Un siècle après l'expédition canadienne dans l'Arctique, il est
important de se souvenir non seulement des réussites, mais aussi
des embûches qui ont marqué la contribution du Canada à la
cartographie de l'Arctique.