Le patrimoine irlandais
Publié : mars 2011
La Saint-Patrick est célébrée dans de nombreuses villes au
Canada. La plupart des gens en profitent pour participer au défilé
de leur ville ou pour quitter leur travail un peu plus tôt afin
d'aller boire une bière verte dans le pub irlandais du quartier.
Mais vous êtes-vous déjà demandé comment les Irlandais étaient
devenus aussi influents au Canada?
Un grand nombre de maisons, de bâtiments commerciaux, d'églises,
de canaux et de ponts ont été construits par des Irlandais dans
l'ensemble du pays. En parcourant le pays d'est en ouest, vous
constaterez que les lieux patrimoniaux associés aux Irlandais sont
étroitement liés à leur position sociale, qui a grandement évolué
au fil du temps.
Au début du XIXe siècle, de nombreux immigrants
irlandais s'établissent à St. John's, à Terre Neuve-et Labrador et
y développent une culture florissante. Comme bien d'autres
communautés d'immigrants, celle-ci continue d'entretenir des liens
étroits avec la mère patrie, où plusieurs continuent de se rendre
en faisant le voyage aller-retour sur l'Atlantique. Toutefois, les
Irlandais ramènent aussi de leur terre natale certains problèmes.
En effet, les membres de diverses factions religieuses se battent
quotidiennement dans les rues du centre de St. John's. Un de ces
groupes est connu sous le nom de « Yellow Bellies » (ventres
jaunes) en raison de l'écharpe jaune que portent ses
membres. Un édifice commercial patrimonial a d'ailleurs été
baptisé en leur honneur, le Yellow Belly Corner (1846), et constitue
aujourd'hui l'élément central de l'arrondissement historique de la
rue Water.
Un autre bâtiment construit à proximité représente le côté moins
« tapageur » des Irlandais : le bureau principal de la Benevolent
Irish Society (BIS) (société de bénévoles irlandaise), construit à
St. John's à la fin des années 1870. Bien que cet édifice
magnifique soit avant tout reconnu comme un des rares exemples
d'architecture Second Empire à Terre-Neuve, il témoigne également
des efforts déployés par cette organisation caritative
non-confessionnelle pour venir en aide aux immigrants irlandais et
pour soutenir financièrement les écoles catholiques locales.
Aujourd'hui, l'édifice fait partie du district ecclésiastique de St. John's.
En vous déplaçant vers l'ouest, comme l'ont fait les Irlandais à
l'époque, vous découvrirez deux maisons intéressantes qui
illustrent bien leurs types d'établissement. Vous découvrirez sur
l'Île-du-Prince-Édouard une magnifique maison construite par John
P. Sullivan (1870), un immigrant irlandais de deuxième génération
qui est devenu un riche commerçant, un politicien actif sur la
scène provinciale, et qui est également le frère du premier
ministre qui deviendra plus tard le juge en chef de l'île. Les
propriétaires actuels ont transformé la maison en auberge, qu'ils
ont baptisée « Tír na nÓg », phrase gaélique porteuse d'espoir
signifiant « terre de la jeunesse éternelle ».
Selon la mythologie celtique, il s'agit d'un lieu
enchanté où les arbres sont toujours en fleurs, où la nourriture et
la boisson s'y trouvent en abondance, et où les gens ne
vieillissent jamais. Les immigrants irlandais de première et de
deuxième génération allaient devoir s'inspirer de cette formule
puisqu'ils ne seraient pas tous aussi chanceux que Sullivan. Parmi
les exemples de maisons plus modestes de la classe ouvrière,
mentionnons la petite résidence de style néogothique connue sous le
nom de Résidence Henry Hatheway, qui a été construite
sur la rue Orange à St. John, au Nouveau-Brunswick, autour des
années 1830 et 1840.
Au milieu du XIXe siècle, un
grand nombre d'Irlandais habitent Montréal et Toronto. À Montréal,
ils s'établissent dans le quartier Griffintown situé près de
chantiers maritimes du fleuve Saint-Laurent, et sont en grande
partie responsables de la construction du canal de Lachine durant les années 1820
(aujourd'hui désigné lieu historique national) ainsi que de la construction du pont tubulaire Victoria durant
les années 1850. La basilique St. Patrick situe quant à elle le
cœur de la vie culturelle et religieuse irlandaise de Montréal. On
y a notamment célébré les funérailles de Thomas D'Arcy Mcgee.
À Toronto, les immigrants irlandais s'établissent dans les
environs du marché Kensington, où ils construisent un dense
tissu d'habitations où logeront de nombreuses vagues d'immigrants
et qui contribueront à l'originalité et à la spontanéité du paysage
culturel du quartier.
Au moment où les immigrants irlandais atteignent l'Ouest
canadien, leur sort commence déjà à s'améliorer. Mentionnons
notamment le cas de deux Irlandais de deuxième génération qui
deviendront non seulement millionnaires, mais qui contribueront au
développement socio-économique de l'Ouest grâce à leur esprit
d'entreprise. L'un d'eux, Nicholas Bawlf, s'établit à Winnipeg. Né
en Ontario, cet
homme d'origine modeste prend pour
devise « Assurez-vous d'avoir raison et foncez ». C'est en
observant cette formule qu'il fera fortune dans le commerce du
grain à Winnipeg durant les années 1880. À la fin des années 1880,
il compte parmi les onze marchands de grain les plus riches de la
région qui fondent le Winnipeg Grain and Produce Exchange
(aujourd'hui la Bourse des marchandises de Winnipeg), au sein
duquel il occupe le poste de président à deux reprises pendant les
années 1890. Le quartier de la Bourse, qui est l'un des centres
d'affaires les plus animés du Canada avant la Première Guerre
mondiale, est l'endroit où l'on peut voir les exemples les plus
intéressants d'architecture commerciale au Canada, notamment la
très impressionnante maison de Comoy, conçue par la firme Barber
and Barber.
Pour leur part, les villes de Calgary et de Vancouver doivent
leur expansion économique à un certain Patrick Burns, homme
d'affaires audacieux. D'origine modeste, cet Irlandais de deuxième
génération né lui aussi dans une petite ville de l'Ontario, passe
peu de temps sur les bancs d'école et se déplace vers l'ouest en
espérant faire fortune; il trouve réponse à ses souhaits dans
l'industrie du bétail durant les années 1870 et 1880, près de la
ville de Winnipeg. En 1890, il déménage à Calgary, où il démarre
une entreprise de transformation de la viande
(d'abord appelée P. Burns and Co., puis
Burns Foods) qui deviendra la plus importante du genre dans l'Ouest
du Canada. Au début des années 1900, Burns était devenu un
millionnaire et un homme d'affaires polyvalent : il avait construit
un manoir à Calgary, participé à la fondation du stampede de
Calgary, fourni la viande des repas offerts aux ouvriers de la
Grand Trunk Railway Company, et offert des dons à diverses
organisations caritatives et religieuses ainsi qu'à plusieurs
établissements d'enseignement. Son esprit d'entreprise s'incarne
notamment dans le Burns Building (1912), un des premiers édifices
commerciaux de type Chicago construit dans le centre-ville de
Calgary, et qui se trouve aujourd'hui à côté du lieu historique
national de Stephen Avenue.
Il convient de préciser que même si Burns possédait des bureaux
à Vancouver,
c'était son frère Dominic qui assurait
la gestion de son entreprise. Afin de célébrer cette période
édouardienne imprégnée de dynamisme et d'espoir, Dominic Burns
commande la construction du Vancouver Block, édifice commercial de
quinze étages coiffé d'une tour d'horloge arborant des motifs
décoratifs de terra-cotta, et qui constitue aujourd'hui un des
points de repère de Vancouver. Conçu par les architectes John Parr
et Thomas A. Fee, le Vancouver Block est, pendant la majeure partie
du XXe siècle, l'une des structures les plus anciennes
et les plus populaires du centre-ville de Vancouver.
Il s'agit sans doute du meilleur endroit pour mettre fin à notre
visite. La Saint-Patrick est avant tout une fête qui appelle la
bonne humeur et l'optimisme. Les lieux historiques du Canada
associés au peuple irlandais reflètent ces valeurs et témoignent de
l'évolution de la communauté, dont les modestes débuts et les
conditions de vie éprouvantes auront fait place à de véritables
réussites commerciales et à des modèles de leadership.