Samuel Maclure : architecte de la côte Ouest
Jeune homme, l'architecte et artiste Samuel Maclure était connu
pour sa grande vitalité et son tempérament impétueux, réputation
que lui valut sa fugue en 1889 avec l'artiste Daisy Simpson à
Vancouver où le jeune couple s'était marié, événement qui avait
fait scandale chez les membres de la haute société de Victoria, en
Colombie-Britannique. Bien qu'il ait toujours conservé cette âme
libre et créative, l'architecte, par le raffinement de ses moyens,
est parvenu à s'intégrer à la haute société. Aux yeux des autres,
il était un homme distingué toujours impeccablement vêtu, portant
la barbiche et le trois pièces, et était connu pour sa très grande
générosité.
En 1908, le périodique Canadian
Architect and Builder consacre un long article à la conception
d'une maison construite par Maclure en 1904. L'article contient des
photographies de l'extérieur et de l'intérieur de la maison de même
que des plans architecturaux. On y fait notamment l'éloge de son
revêtement de lambris et de ses poutres en douglas de Menzies, de
sa large fenêtre pittoresque donnant sur le détroit de Juan De Fuca
et sur les montagnes Olympiques de l'État de Washington ainsi que
de son recouvrement de bardeaux de cèdre. Comme l'auteur de
l'article le souligne, il émane de la résidence une « dignité de
style », une « ambiance chaleureuse propice au repos », « une
organisation équilibrée » ainsi qu'une « élégance discrète combinée
à un aspect franchement utilitaire qui donnent l'impression d'une
maison qui pourrait être habitée pendant de nombreuses générations
». Bien que la maison « Alexis Martin », située au 1598, avenue
Rockland, à Victoria, ne soit pas encore désignée édifice du
patrimoine, elle a valu à Maclure, qui jouissait déjà d'une
popularité considérable à l'échelle locale, sa renommée
internationale, et a garanti sa place dans les annales de
l'histoire de l'architecture en Colombie-Britannique.
Mais quelle est l'histoire de cet homme?
Né en 1860 à New Westminster, en Colombie-Britannique, Maclure
passe son enfance à Matsqui. Dès son jeune âge, il développe un
talent pour le dessin et la peinture, et après avoir obtenu son
diplôme d'études secondaires, occupe divers emplois afin d'amasser
suffisamment d'argent pour s'inscrire à l'école des arts. En
1884-1885, il étudie à la Spring Garden Art School à Philadelphie,
en Pennsylvanie. Ses études et les édifices monumentaux et
richement décorés de Philadelphie lui fourniront l'inspiration dont
il a besoin pour mettre en pratique ses habiletés artistiques dans
le milieu de l'architecture.
Il retourne à Westminster en 1886, où, en travaillant aux côtés du
jeune architecte Charles Henry Clow, il apprend le métier
d'architecte. Avec Clow il conçoit un grand nombre de maisons de
style Queen Anne, style architectural représentatif de la fin de
l'époque victorienne caractérisé par des plans asymétriques, des
revêtements de bardeaux et des pignons imposants. Deux résidences
de Maclure construites en 1887 et connues sous le nom des Maria Keary Cottage 1 et Cottage 2 existent toujours et sont aujourd'hui
désignées lieux patrimoniaux. En 1891, Maclure s'associe avec
l'architecte britannique d'expérience Richard P. Sharp, qui lui
enseigne les principes architecturaux du nouveau mouvement Arts and
Crafts.
Le mouvement Arts and Crafts est un mouvement britannique
s'inspirant notamment des idées de l'artiste William Morris qui
souhaitait concevoir des maisons qui seraient à la fois
fonctionnelles et belles, et qui s'intégreraient de façon
harmonieuse à leur environnement naturel. Dans les faits, très peu
d'artistes ont vécu dans ce genre de maisons, qui sont vite
devenues l'apanage d'une certaine élite.
Maclure et sa femme retournent à Victoria en 1892, où ils
s'intègrent rapidement aussi bien au milieu artistique qu'à la
haute société. Maclure fait l'acquisition d'un bureau dans
l'édifice « The Five Sisters », et travaille en collaboration avec
quatre autres architectes déjà bien établis, notamment F.M.
Rattenbury et Thomas Sorby. On lui confie la conception de
l'édifice commercial connu sous le nom de Temple Building (1893). Cet édifice, qui
constitue un des rares exemples de sa production non résidentielle
et qui est considéré sa première grosse commande, est aujourd'hui
un édifice patrimonial provincial et un lieu patrimonial du
Canada.
En 1899, le périodique canadien Canadian Architect and Builder
et le périodique américain Beautiful Homes of America publient une
photographie de l'intérieur de la deuxième résidence conçue par
Maclure, un modeste bungalow de style Arts and Crafts construit en
1898. L'année suivante, Maclure s'associe au jeune architecte Cecil
Croker Fox, avec qui il ouvre un bureau à Vancouver. Avec Fox,
Maclure entame la période la plus productive et prestigieuse de sa
carrière.
Maclure et Fox dessineront les plans de nombreuses résidences de
style Arts and Crafts et de style néo-Tudor pour les habitants des
quartiers aisés la région comme Oak Bay à Victoria et Shaughnessy à
Vancouver. Maclure se fait aussi connaître grâce à son intérêt pour
l'architecture paysagère, et plus particulièrement pour
l'aménagement de jardins résidentiels et leur relation avec la
beauté d'une ville pour les citoyens. L'empreinte de Maclure est
particulièrement manifeste à Victoria où il a conçu un grand nombre
de résidences (consulter le site Web de la Victoria Heritage
Foundation pour obtenir de plus amples renseignements). Certaines
résidences construites à Victoria et à Vancouver ont été désignées
édifices du patrimoine, notamment les suivantes : la Cecil Robert House (1904, Arts and Crafts), le
Beaconsfield Inn (1908, néo-Tudorl),la résidence du 825, chemin Foul Bay (1912, Arts
and Crafts) et la Nichol House (1912, Arts and
Crafts/néo-Tudor).
Maclure réalise son projet le plus ambitieux en 1908 : on le
charge de dessiner les plans d'un vaste domaine de style
néogothique et des jardins avoisinants pour James Dunsmuir, ancien
premier ministre de la Colombie-Britannique occupant désormais le
poste lieutenant-gouverneur et considéré comme l'une des personnes
les plus influentes au Canada. Le château et son enceinte,
surnommés le château Hatley et Hatley Park, font aujourd'hui
partie du répertoire des lieux patrimoniaux du Canada.
L'alliance de l'architecture et du paysage constitue un des
principes essentiels qui guidera la vie et l'œuvre de Maclure, qui
croyait que beauté formelle et devoir civique devaient aller de
pair. Il a notamment été l'un des cofondateurs de la Island Arts
and Crafts Society (1909), a fait partie du jury de sélection d'un
concours d'architecture pour la nouvelle université de
Colombie-Britannique (1912) et a agi à titre de conseiller auprès
de la famille Butchart pour l'aménagement de leurs jardins et pour
l'agrandissement de leur résidence familiale entre 1911 et 1925
(désigné aujourd'hui comme le lieu historique national des Jardins-Butchart, jardin de renommée
internationale situé près de Victoria).
Dans les années suivant 1912, en raison de la récession
économique et du conflit mondial pendant lequel l'associé de
Maclure, Cecil Fox, perd la vie, les commandes se raréfient et
Maclure se voit contraint de fermer les portes de son bureau. Il
les rouvre toutefois en 1920, avec l'aide d'un nouvel associé,
l'architecte Ross Lort. Durant les années 1920, Maclure réalise
essentiellement des projets dans la région de Victoria (à
l'exception d'une commande qui le mène dans le quartier de
Rosedale, à Toronto, en 1921). Deux de ses derniers projets
constituent des exemples marquants de sa dernière grande période,
notamment la maison Arts and
Crafts de Sidney (1926) servant de résidence d'été au
lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique, W.C. Nichol , et
la petite résidence Arts and Crafts (1927) construite à
Oak Bay, à Victoria.
Samuel Maclure meurt en 1929. Il aura marqué l'histoire de
l'architecture grâce à ses constructions résidentielles qui
unissent le charme de l'ancien monde à la beauté majestueuse de la
côte Ouest, et dont l'esthétique contribue au patrimoine
architectural du pays.