Onde de marée : La vie le long de la baie de Fundy
Nous vivons dans un pays remarquable. Le Canada est un vaste
territoire qui offre, de par ses splendeurs naturelles, des
possibilités infinies d'exploration et d'émerveillement. La baie de
Fundy, où se produit l'un des phénomènes hydrographiques les plus
extraordinaires de notre pays, attire des touristes de partout
au monde, au même titre que la Grande Barrière de Corail, en
Australie, le Vésuve, en Italie, l'Amazone, en Amérique du Sud, et
le Kilimanjaro, en Tanzanie.
Vaste étendue
de mer dans le Canada atlantique délimitée par le Nouveau-Brunswick
et la Nouvelle-Écosse, la baie de Fundy s'étend sur une longueur de
270 km et son trait de côte s'étire sur 1 200 km.
Deux fois par jour, une onde de marée provenant de l'océan
Atlantique canalise une énorme quantité d'eau dans la baie, ce qui
engendre les plus grandes marées du monde - les plus hautes en
réalité, car elles peuvent atteindre plus de 16 mètres (la
hauteur de cinq étages environ) dans le bassin Minas, en
Nouvelle‑Écosse, au fond de la baie. Le cycle de marée s'accomplit
deux fois par jour, environ toutes les douze heures, ce qui
signifie que vous n'avez qu'environ six heures à attendre pour
observer la différence entre la marée haute et la marée basse. La
quantité d'eau qui s'engouffre dans la baie et en ressort durant un
cycle de marée est inimaginable : environ 100 milliards
de tonnes, ce qui est amplement suffisant pour remplir une autre
merveille naturelle, le Grand Canyon!
L'énergie produite par le flux et le reflux des marées est
récupérée par une petite centrale marémotrice aménagée sur la
rivière Annapolis. La production d'énergie marémotrice, qui est
durable sur le plan de l'environnement, est même plus prometteuse
que toute autre forme d'énergie. Les turbines fonctionnent selon le
principe que la force de l'eau qui déferle dans la baie est
suffisamment importante pour générer de l'électricité. La même
action est répétée lorsque la marée descend, ce qui crée un cycle
continu de production d'énergie.
Le long de la baie de Fundy, la nature et la culture coexistent
depuis des milliers d'années avec les marées qui ont façonné la
côte et les modes de vie. L'histoire géologique de la région est
révélée dans les falaises fossilifères de Joggins, en
Nouvelle‑Écosse, un site du patrimoine mondial de l'UNESCO qui renferme des fossiles exceptionnels
datant de l'ère du Carbonifère (âge du charbon), il y a 300
millions d'années. Les rochers exposés dévoilent la vie animale et
végétale de cette période de l'histoire de la Terre, notamment les
premiers reptiles à émerger de la mer pour vivre sur la terre
ferme, qui ont évolué pour devenir des dinosaures et des
oiseaux.
La baie de Fundy a également influé sur la vie des groupes de
Premières nations qui pêchaient dans la baie et vivaient le long de
la côte. Les premiers Européens s'y sont établis vers 1605, époque
où les colons français sous l'égide de Samuel de Champlain ont
fondé la localité de Port-Royal, devenue par la suite Annapolis Royal, en Nouvelle‑Écosse.
La baie n'a pas échappé aux conflits coloniaux. Le territoire,
d'abord français, est passé aux mains de la Grande-Bretagne et a
connu la déportation des Acadiens en 1755. Les collectivités de la
baie de Fundy ont subi plusieurs guerres, batailles navales et
raids côtiers durant les grandes guerres de l'histoire du monde,
comme la guerre de Sept Ans (1756-1763), la guerre de
l'Indépendance américaine (1775-1783) et la guerre de 1812
(1812-1815).
Les Acadiens - premiers colons français - se sont
adaptés rapidement à la vie dans la baie de Fundy et ont conçu des
technologies pour tirer avantage des marais salés. L'action des
marées dépose des couches de limon dans les marais, ce qui enrichit
le sol, le rend fertile et en fait l'un des écosystèmes les plus
productifs au monde. L'interaction entre la terre et la mer est
toujours visible à l'établissement acadien de Grand Pré, en Nouvelle‑Écosse. À cet endroit,
le long des terrains marécageux bordant le replat de marée de
Fundy, des digues ont été érigées pour assécher les marais vaseux à
des fins agricoles. Ces digues étaient munies de clapets de retenue
qui permettaient la circulation de l'eau à sens unique. L'eau douce
qui irriguait les champs s'écoulait librement vers la baie tandis
que l'eau de la marée montante ne pouvait entrer. Des années 1630
jusqu'à 1755, on estime qu'environ 13 000 acres
(52 km2) de marais salés ont été asséchés par les
Acadiens.
Les industries de la marine marchande et de la construction
navale ont depuis longtemps une place importante dans la région. Le
succès de cette économie a toujours reposé sur la circulation sans
danger dans la baie et ses affluents, et le long de ses berges
accidentées. Les eaux dangereuses de la baie ont emporté de
nombreux navires tels que le HMS Plumper, qui a coulé en 1812
après avoir heurté une falaise le long de la côte du
Nouveau‑Brunswick. L'un des plus anciens dispositifs d'aide à la
navigation au Canada se trouve à Wilsons Beach, au
Nouveau‑Brunswick. Accessible à pied seulement à marée basse, le phare historique de Head Harbour a été en 1929
le deuxième phare à être construit dans la province. Plusieurs
améliorations au site ont été apportées au fil des ans et son
aménagement correspond maintenant à un poste de navigation typique,
qui intègre des éléments tels qu'une résidence de gardien, un
avertisseur de brume et une remise à bateaux.
Outre la marine marchande, la baie de
Fundy soutient également une importante industrie de la pêche
commerciale. Pendant des générations, les marées ont été utilisées
pour prendre du poisson. Des pièges en forme de cœur constitués
d'un arrangement de poteaux et de filets, appelés fascines,
permettent de faire converger les poissons dans une sorte
d'entonnoir et de les confiner à marée haute, les laissant échoués
une fois l'eau retirée. La baie de Fundy regorge de poissons et de
pétoncles de renommée mondiale, et le fruit de mer le plus pêché
dans la baie, le homard, y abonde. De 1921 à 1948,
Edwin Conley, intermédiaire dans l'industrie de la pêche au
homard, exploitait la Conley's Lobster Factory (connue aujourd'hui
sous le nom de Cottage Craft) à St. Andrews, au
Nouveau‑Brunswick. Il achetait du homard et l'expédiait jusque dans
des ports aussi lointains que Boston, au Massachusetts. Au début de
l'époque où l'on expédiait du homard vivant, beaucoup de homards
périssaient durant le long trajet, et Conley a inventé un conteneur
d'expédition dans lequel le homard était séparé de la glace
fondante. Cette innovation a révolutionné l'ensemble de
l'industrie.
Il est impensable de parler de la baie de Fundy sans mentionner
l'attrait inouï que représentent les marées sur le plan récréatif.
Les touristes du monde entier affluent dans la baie pour apercevoir
différentes espèces de baleines, pour faire du rafting sur un
mascaret ou pour vivre l'expérience de marcher sur le fond
océanique à marée basse. Les parcs nationaux et provinciaux situés
en bordure de la baie offrent des possibilités à couper le souffle
de découvrir la région par voie maritime ou terrestre. La
conception fonctionnelle de l'une des premières installations
récréatives aménagées dans le parc national Fundy permet d'utiliser le cycle
naturel des marées. En effet, le pavillon de bain et la piscine d'eau salée, construits sur le bord de
la baie de Fundy en 1950, utilisent les marées pour s'alimenter
directement en eau de mer. Quelle idée rafraîchissante
!
La baie de Fundy est une ressource écologique et culturelle
importante pour la planète. Elle abrite une grande biodiversité et
soutient les industries de l'agriculture, de la marine marchande,
de la pêche et, surtout, du tourisme. Une telle onde de marée a
façonné la nature sauvage dans la baie et le mode de vie de ses
habitants. Uniques au monde, les marées de Fundy continueront
d'alimenter en énergie toutes les formes de vie qu'elles
côtoient.