Le style rustique dans les parcs nationaux
Dans le cadre des célébrations du centenaire de Parcs
Canada, le Répertoire canadien des lieux patrimoniaux (RCLP)
est ravi de mettre la main à la pâte en publiant des articles
portant sur certaines des réalisations de Parcs Canada afin de
faire connaître aux Canadiens l'important rôle de leadership que
joue cette organisation dans la conservation du patrimoine naturel
et culturel de tout le pays. Ce mois‑ci, nous traiterons d'un style
d'architecture pittoresque, le style rustique, qui s'est vite
imposé pour les bâtiments récréatifs et administratifs des parcs
nationaux. Les bâtiments présentés ci‑dessous ont tous reçu la
désignation d'édifices fédéraux du patrimoine ou de lieux
historiques nationaux. Pour obtenir davantage de renseignements à
leur sujet, consultez le RCLP.
Parfait alliage du romantisme de la nature sauvage canadienne et
des agréments du confort moderne, l'architecture de style rustique
présente une apparence très distinctive. Ce type de bâtiment
attrayant, que l'on trouve dans les parcs nationaux, est
étroitement associé aux zones récréatives du Canada. L'architecture
de style rustique englobe un vaste éventail de structures et de
méthodes de construction. Puisant son inspiration romantique dans
les profondeurs des forêts du Canada, le style rustique s'est
distingué comme style architectural dans les parcs nationaux peu
après la création de la toute première aire protégée du Canada, le
parc national Banff, en 1885.![East Gate Registration Complex, Riding Mountain National Park, 1934, Parks Canada / Centre-d'Inscription-de-l'Entrée-Est-du-Parc-du-Mont-Riding, 1934, Parcs Canada](/media/22064/rustic1a.jpg)
Le style rustique s'inspire des bâtiments en rondins tout
simples que bâtissaient les trappeurs, les ouvriers de chemin de
fer et les prospecteurs. Ce style, qui rappelle souvent les
structures que les premiers colons ont édifiées avec des rondins,
est tout indiqué pour s'harmoniser au cadre naturel et sauvage des
parcs nationaux situés dans des endroits reculés. Au Canada, le
style rustique se manifeste d'abord dans des pavillons de bain et
de gares ferroviaires du Canadien Pacifique (CP) construits entre
1886 et 1888. C'est à George Stewart, premier directeur du parc,
que l'on doit l'introduction du style rustique à Banff; celui‑ci
estime en effet que ce style est celui qui convient le mieux au
milieu naturel du parc. Avec le temps, tout le réseau des parcs
nationaux lui emboîte le pas, afin de projeter une image
distinctive associée aux nouveaux parcs.
Quelles sont les racines de ce style distinctif? Elles sont
nombreuses. Le style rustique a en partie été influencé par le
chalet suisse traditionnel, qu'Andrew Jackson Downing fait
connaître en Amérique du Nord au cours des années 1850. Les
techniques de construction au moyen de rondins sont popularisées
par un architecte français, Calvert Vaux, dans un recueil de plans
intitulé Villas and Cottages qu'il publie en 1857.
L'engouement des architectes de l'époque pour l'architecture
folklorique joue également un rôle. Toutes ces influences
continuent de se faire sentir pendant l'essor de l'architecture
rustique, vers la fin du XIXe siècle. Dans les parcs
nationaux, le style rustique se manifeste dans des structures
vernaculaires faites de rondins, qui comportent des bardeaux, de la
maçonnerie en pierre de taille, de larges avant-toits, des vérandas
et des parements grossiers en bois. Soutenues par un
contreventement rectiligne ou diagonal et munies d'un large
avant-toit, ces structures qui affichent délibérément un caractère
suisse s'inscrivent dans une démarche stratégique de promotion du
tourisme.
Au moment de leur
désignation à titre de parc national, les terres ne comportent bien
souvent aucune installation permanente. La montée du tourisme
entraîne l'apparition de routes et d'installations récréatives qui
font des parcs nationaux des destinations adaptées aux touristes
qui voyagent en voiture. En 1909, on instaure un réseau de gardes
de parc à temps plein; à compter de 1918, un nombre croissant de
chalets destinés aux gardes des parcs sont construits selon un plan
normalisé. Il s'agit habituellement de petites structures ne
renfermant qu'une seule pièce et qui sont parfois aménagées en vue
d'une occupation permanente. Les gardes de parc, qui patrouillent
sur des sentiers établis afin de veiller à l'application des
règlements sur tout le territoire du parc, passent la nuit dans ces
chalets. Faites de rondins coupés sur place, ces structures se
distinguent les unes des autres par leur taille, leurs proportions,
l'équarrissement de leurs coins, la disposition de leur porte et de
leurs fenêtres et le système de soutien de leur véranda. Le plan
normalisé prévoit un large avant‑toit de six pieds (près de deux
mètres), soutenu par des pannes de toit, qui surplombe la véranda;
toutefois, on ajoute souvent des supports décoratifs. Quelques
exemples de ce type de bâtiment sont le chalet des gardes du parc de Hoodoo et le chalet de patrouille des gardes du parc de
Topaz, qui se trouvent tous deux dans le parc national Jasper.
Le Service des gardes de parcs nationaux construit des chalets
destinés aux gardes, des tours d'observation, des chalets, des
étables et des hangars pour les patrouilleurs; ces bâtiments sont
souvent de style rustique. Suivant le développement des parcs, le
réseau de chalets de gardes de parcs prend l'ampleur au fil des
ans, ce qui permet l'application des règlements relatifs à la
protection de la faune et des forêts et le contrôle du tourisme
dans les parcs nationaux du Canada. Ces bâtiments modestes et
fonctionnels sont toutefois bien peu impressionnants lorsqu'on les
compare aux bâtiments de style rustique bien plus grands qui sont
édifiés dans les lotissements urbains situés dans les parcs
nationaux.![Twin Falls Tea House, Yoho National Park, Parks Canada / Salon de thé des chutes Twin, Parc National Yoho, Parcs Canada](/media/22056/rustic3.jpg)
Il existe un grand nombre de bâtiments de style rustique très
caractéristiques, dont beaucoup ont été dessinés par des
architectes : pensons notamment au musée d'histoire naturelle de Banff, au salon de thé des Chutes-Twin,
et au lieu historique national du Canada Cave and Basin. Les exploitants commerciaux des
centres de villégiature situés dans les parcs nationaux ont aussi
adopté le style rustique. Les hôtels, les motels et les hôtels
pavillonnaires ont fait de même, tout comme les garages, les
restaurants, les postes de police, les casernes d'incendie, les
salons de thé et les gares ferroviaires. La plupart des bâtiments
appartenant au gouvernement, y compris les abris de pique‑nique,
les kiosques à musique et les bâtiments administratifs des parcs,
ont été conçus selon le style rustique. Celui‑ci a tout
particulièrement gagné en popularité avec le développement du
tourisme, des activités de plein air et des propriétés publiques et
privées dans les parcs, et, avec les projets fédéraux de création
d'emploi pendant la Crise de 1929.
La popularité du style rustique est attribuable à son caractère
informel. Le personnel des parcs a même construit deux cabanes en
bois rond à l'intention d'Archibald Belaney, mieux connu sous le
nom de « Grey Owl », et de sa femme Anahareo. Auteur
réputé et grand défenseur de la nature sauvage, Grey Owl a
travaillé pour le service des parcs à titre de naturaliste. En
1931, Grey Owl et Anahareo ont vécu dans une cabane en bois rond
située dans le parc national du Mont‑Riding; en 1932, ils sont
déménagés au lac Ajawaan dans le parc national de Prince
Albert.
Bon nombre des thèmes rustiques employés à vaste échelle ont
d'abord été observés dans l'hébergement touristique offert dans les
parcs, notamment les camps de bungalows, les hôtels pavillonnaires
des lotissements urbains et les complexes hôteliers de
villégiature. Mentionnons par exemple les cabanes en bois rond
faisant office de gîtes d'étape qui ont été construites par Trail
Riders of the Canadian Rockies, une organisation fondée par le
Chemin de fer Canadien Pacifique dans les années 1920 dans le but
d'offrir de l'équitation dans le parc. Mentionnons aussi la maison
de thé à deux étages, située le long d'un sentier de randonnée
très fréquenté dans le parc national Yoho, qui sert de halte aux
randonneurs. Les maisons de thés offrent également refuge et
couvert aux randonneurs et aux cavaliers qui s'aventurent dans
l'arrière-pays, aux environs des hôtels et des camps de bungalows
appartenant au réseau hôtelier du Chemin de fer.
Le Chemin de fer Canadien Pacifique
joue un rôle actif dans le secteur du tourisme, dans toutes les
Rocheuses; il travaille à la promotion de la randonnée et de
l'alpinisme, allant jusqu'à faire venir des guides de la Suisse
pour qu'ils prennent la tête de groupes d'alpinistes. De nombreux
bâtiments sont construits à l'intention des randonneurs et des
alpinistes du Club Alpin du Canada. Des refuges de pierre en haute
altitude, semblables à ceux qu'on trouve dans les Alpes, sont bâtis
pour accueillir les groupes d'alpinistes dirigés par les guides
suisses. Le refuge du col Abbot, un bâtiment de pierre
taillée situé à une altitude de 9585 pieds
(2 922 mètres), en constitue sans doute le meilleur
exemple.
Même si ses origines sont modestes, le style rustique a beaucoup
gagné en raffinement et en subtilité au fil du temps. Par exemple,
le musée du parc Banff (1902-1903) est un
bâtiment distinctif de deux étages à charpente de bois conçu selon
le style rustique suisse et dont les murs arborent des ornements à
motif de rondins entrecroisés. Il constitue probablement l'exemple
le plus important et le plus ouvragé des premières constructions du
parc. Avec le temps, le caractère alpin du style rustique se
métisse d'éléments des styles Tudor, Queen Anne et Château. Afin
d'exploiter l'intérêt suscité par les loisirs en milieu sauvage, le
Chemin de fer Canadien Pacifique, la Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada, le Chemin de fer le Grand Nord du Canada et
les parcs nationaux érigent diverses formes d'hébergement
touristique le long de la voie ferrée. Les chemins de fer exercent
une influence marquée sur les pratiques de l'époque en matière de
conception dans les parcs nationaux du Canada. Les grands hôtels
représentent un élément crucial de cette forme de tourisme. Le plus
grand et le plus connu des hôtels de villégiature des parcs est l'hôtel Banff Springs du Chemin de fer Canadien
Pacifique, conçu en 1886 par Bruce Price. Des agrandissements sont
réalisés au XXe siècle par William Painter (1903‑1914)
et J.W. Orrock (1926‑1928).
Comme le nombre de bâtiments d'appoints augmente, il devient
nécessaire de construire des bâtiments plus grands. Pour pallier
les limites inhérentes aux méthodes de construction traditionnelles
en rondins, on choisit de placer des éléments décoratifs rustiques
sur une charpente de béton armé; c'est notamment l'approche retenue
dans le lieu historique national du Canada Cave and Basin, à Banff. Bientôt, d'autres
bâtiments construits à Banff ont aussi recours à cette méthode
moderne qui consiste à couvrir de parements de bois une structure
en béton.
Avant 1950, le style rustique, qui a atteint la pleine mesure de
son développement et a gagné en uniformité, devient le style
architectural privilégié pour les bâtiments des parcs nationaux,
aussi bien dans les milieux éloignés que dans les lotissements
urbains. Le rapport exhaustif d'Edward Mill sur l'architecture de
style rustique dans le parc national de Prince Albert divise en
quatre phases distinctes l'évolution des bâtiments construits avant
1948 :
- La première phase, qui s'étend de 1927 à 1930, débute peu après
la création d'une division de l'architecture au sein de la
Direction des parcs nationaux. On confie à cette division le mandat
d'élaborer des lignes directrices architecturales en vue de
conférer un style distinctif aux bâtiments compris dans le réseau
de parcs nationaux. On instaure donc un style rustique qui vise à
se fondre au cadre naturel, et on emploie des matériaux d'origine
locale et des motifs propres au chalet pittoresque traditionnel
pour exprimer le caractère du bâtiment.
- La deuxième phase, qui va de 1931 à 1936, est marquée par
l'établissement de nouvelles lignes directrices architecturales et
par la nécessité de faire travailler les Canadiens pendant la Crise
de 1929. Des projets exigeants et laborieux, qui auraient
probablement été jugés trop onéreux en temps normal, sont menés
dans de nombreux parcs nationaux et lieux historiques nationaux.
Cette situation donne lieu à une importante vague de construction
dans le service des parcs, qui est en plein essor. Le bureau d'inscription de l'entrée sud,
bâtiment 3, qui se trouve à Waskesiu dans le parc national de
Prince Albert, illustre bien cette phase. De style rustique
d'inspiration Tudor, ce bâtiment se distingue par l'emploi
judicieux de matériaux de construction naturels.
- La troisième phase commence en 1936, année marquant à la fois
la fin du financement de secours et la fin du programme centralisé
d'architecture dans les parcs nationaux. Cette phase s'étend
jusqu'en 1940; la Seconde Guerre mondiale vient alors perturber les
activités de construction. À la suite du démantèlement de la
division de l'architecture, en 1937, ce sont les Services de génie
et de construction, une direction du tout nouveau ministère des
Mines et Ressources, qui prennent en charge tous les travaux de
conception relatifs aux parcs nationaux. À compter de 1937, on
observe une certaine retenue sur la plan financier, qui se
manifeste par l'emploi d'ossatures de bois ouvré, faites de bois
scié commercial. Pour respecter le thème du chalet rustique en
rondins, on a recours à un revêtement en rondins, plus économique,
qui est posé sur les côtés de la structure de bois.
- Pendant la quatrième phase de construction, qui va de 1945
jusqu'aux années 1950, on continue principalement à utiliser un
revêtement de demi-rondins pour obtenir l'effet rustique recherché.
Faute de personnel et d'argent, on délaisse l'architecture rustique
distinctive pour emprunter les plans d'autres programmes de
construction du gouvernement comme la
Commission
d'établissement des soldats du Canada et la Société centrale
d'hypothèques et de logement. Les résidences du personnel dans le
lotissement urbain du lac Waskesiu, au parc national de Prince
Albert, en constituent un bon exemple.
Dans les années 1970, le style rustique ancien devient mieux
connu et plus apprécié, car bon nombre des bâtiments construits
selon ce style ont maintenant besoin d'être restaurés. En 1992, la
Commission des lieux et monuments historiques du Canada recommande
que plusieurs bâtiments de style rustique demeurés intacts soient
désignés lieux historiques nationaux. Il s'agit du refuge du col
Abbot, dans le parc national Banff; du salon de thé des
Chutes‑Twin, dans la vallée de la Yoho, dans le parc national Yoho;
de l'hôtel Prince of Wales, dans le parc national des
Lacs‑Waterton; de l'auberge de ski Skoki, dans le parc national
Banff; du centre d'inscription de l'entrée est, chemin Norgate,
dans le parc national du Mont‑Riding; et du Centre d'accueil
(ancien centre d'administration), lotissement urbain de Jasper,
dans le parc national Jasper.
Bien enraciné dans la
tradition canadienne, le style rustique est aujourd'hui solidement
établi dans l'imagination populaire des Canadiens. De nos jours,
les rondins équarris à la main, les pierres robustes et le charme
quelque peu féérique du style rustique nous aident à nous
identifier à notre vaste réseau de parcs nationaux. Aussi, s'il
vous prend l'envie de visiter un parc national cet été, cherchez-y
ces bâtiments pittoresques et prenez un instant pour vous
émerveiller de l'exécution soignée et distinctive qui caractérise
le style rustique.